Depuis Berlin, j’en avais déjà entendu parlé de ce petit théâtre, « Theater am Rand », incorporé dans le paysage et aux représentations incorporant le paysage, à quelques kilomètres au nord de Neulewin, non loin des bords de l’Oder, dans le tout petit village de Zollbrücke et près d’un énorme parking. « Des centaines de personnes viennent aux représentations », m’expliquent le couple de Suisses venus de Berlin pour garder la maison de l’illustre maître des lieux, Tobias Morgenstern, célèbre musicien de RDA et père fondateur du projet. Et de me montrer la salle à manger d’une trentaine de mètres carrés où eut lieu la première représentation devant une soixantaine de personnes serrées comme des sardines. « Tobias avait son idée en tête et d’année en année, il a monté son théâtre. » Après la salle à manger, les spectateurs sont passés dans le jardin, laissant la météo faire la pluie et le beau temps des représentations. Les tribunes pour le public, toutes de bois construites, furent les premières à recevoir un toit, suivies de peu de la scène. « Tobias a demandé aux artisans du coin de monter son théâtre, c’est aussi un de ses vœux que d’intégrer la région au projet. D’ailleurs le paysage fait toujours partie du décor, les murs s’ouvrent pour le découvrir aux yeux des spectateurs. » Et de me montrer une épave échouée dans le jardin, utilisée pour le roman Siddharta d’Hermann Hesse réécrit en pièce de théâtre. « La plupart des représentations sont écrites par Thomas Rühmann », ajoutent les deux Suisses qui me recommandent de revenir une fois la pause de l’été terminée. Le conseil n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde… Quand les habitants du coin parlent du ferry, ce n’est jamais sans un certain amusement. C’est que le ferry, on l’attend depuis un certain temps ici. Monsieur Skor, de l’association « Bez Granic – ohne Grenzen », en sait un rayon. « Les Allemands ont voulu un ferry pour renouer avec la tradition, avec le ferry d’antan ». Début XIXème, le ferry reliait les fermes aujourd’hui côté polonais aux champs aujourd’hui côté allemand. Puis début XXème, hôtels et restaurants accueillirent les touristes - souvent berlinois - venus se baigner. C’est avec la seconde Guerre mondiale que le ferry reliant les deux rives de l’Oder fut supprimé. Jusqu’en 1990. « Puis les Allemands ont décidé de le remettre en place, en 192, mais les Polonais se montrainet réticents », m’explique monsieur Skor. « C’est seulement en 2004 qu’ils ont compris l’intérêt économique qu’un ferry pouvait engendrer, amenant de nouveaux consommateurs sur leurs marchés. » S’en suivent les formalités et un long chemin diplomatique. « A chaque élection en Pologne, il faut reprendre les dossiers depuis le début car l’administration change », me raconte monsieur Skor non sans un certain amusement. « C’est peu avant Noël 2006 que nous avons appris la bonne nouvelle : notes diplomatiques côté allemand et polonais affirmatives, le chantier pour la mise en place du ferry pouvait être lancé ! » Pour des raisons financières, les Polonais furent tenus responsables de la construction de l’ensemble. L’inauguration prévue pour mars fut repoussée en juin, puis à l’automne. Et, ironie de l’histoire, on ne peut cette fois pas dire que ce sont les Polonais qui ne respectent pas le rendez-vous. Car c’est une pièce venant d’Allemagne qui a manqué à l’appel… Toujours est-il qu’ici et là, on se réjouit du ferry, qu’il soit inauguré le 2 septembre ou début octobre. Pour l’instant, je ne vous ai pas invité à vous lécher les babines et pourtant, tout au long du chemin les spécialités culinaires régionales se succèdent. Cornichons par ci, jambonneau par là. Les hôtes sont nombreux à me présenter des recettes qui m’étaient jusque là inconnues. Pour vous la recette de la soupe « soljanka » plus que facile à réaliser pour les apprentis cordon bleu fauchés. Pour quatre personnes : -300 grammes de saucisse fumée à l’ail Faire griller saucisse et salami en petits morceaux dans la poêle A vos fourneaux ! Du projet transfrontalier « Bez Granic – ohne Grenzen », c’est madame raasch qui m’en a parlé au petit déjeuner, au beau milieu d’uns discussion sur le système scolaire d’aujourd’hui bien moins attrayant que celui de la RDA tant pour les enfants que pour les mamans. « ils font beaucoup de choses avec les Polonais et développent aussi des projets pour les jeunes. » C’est d’ailleurs ainsi que « Bez Granic – ohne Grenzen » se présente : un projet ayant pour but de développer une coopération entre communes allemandes et polonaises dans la région frontalière de l’Oder, de renforcer l’identité culturelle et la cohésion économique de la région avec un accent porté sur le marketing touristique. C’était en 2004. Depuis, l’initiative a pris le nom de « Eurodistrict Oderland-Nadodrze » (EDON) et a obtenu le soutien de Bruxelles dans le cadre du programme européen INTERact sous le nom de « Border crossing ». Monsieur Pfeil, coordinateur de Border Crossing, m’explique que l’initiative se prépare à devenir un groupement européen de coopération teritoriale. Mais qu’importe, ici, tout le monde continue de parler de « Bez Granic » et la ligne de travail, elle, reste la même : 25 communes allemandes et polonaises réparties sur un territoire de 4300 km² travaillent ensemble pour lutter contre l’important taux de chômage, l’insuffisance des infrastructures et le dépeuplement de la région, pour développer le potentiel touristique et économique de cette région située entre Berlin, Stettin et Posan. « Notre symbole commence à se faire remarquer », me dit monsiuer Pfeil, me montrant la sirène de l’Oder, la « Odernixe – Syrenka ». Celle-ci ne m’est pas inconnue : elle jalonne les pistes cyclables longeant l’Oder… Dans le bureau voisin, monsieur Skor, président de l’association, m’en dit un peu plus : « Notre structure est multiforme. Nous avons un statut d’association, de coopération entre commune et d’entreprise commerciale. Ca nous permet de jouer sur tous les tableaux et d’espérer atteindre notre but, à savoir qu’en 2013, la région n’ait plus besoin de faire appel à des aides extérieures. » Selon lui, la région de l’Oder parle aux gens, surtout depuis qu’il y a eu les inondations de 1997. « Nous avons décidé de prendre le tourisme comme point fort de travail en commun avec les Polonais. Il y a un renouveau de la branche dans la région et c’est le plus facile pour construire des ponts économiques de part et d’autre de l’Oder. » Le premier pas d’un long chemin pour monsieur Skor, qui m’explique que ce travail interculturel si enrichissant n’est pas toujours facile car chacun se comporte selon des schèmes culturels différents. Qu’importe, les initiatives se succèdent pour faire connaître, vivre et travailler la région de l’Oder avec la perspective de relier les projets existants les uns aux autres. De nouveau, le livre de recettes « Oder Culinarium » (ISBN 978-3-930745-02-9 ; Editions Edisohn 2007) m’est ainsi présenté. J’en avais déjà feuilleté un exemplaire au café des dames de Groß Neuendorf, où madame Rindfleisch m’avait expliqué qu’il s’agissait de recettes élaborées à partir de produits régionaux. Bon appétit ?! C’est en parlant du Veloblog à la serveuse du café de Groß Neuendorf, madame Raasch, que celle-ci m’a proposé de m’héberger pour la nuit. Rendez-vous fut tout simplement donné à Neulewin, à une quinzaine de kilomètres au nord de Groß Neuendorf. Je prends encore le temps de tourner un peu dans la petite commune de 400 habitants, suivant les flèches menant au cimetière juif puis à la petite synagogue. C’est que Groß Neuendorf joue la carte touristique et rend ses atouts agréablement accessibles. Sur l’ancien port, un habitant aux cheveux blancs m’explique le vécu des greniers à grain, aujourd’hui reconvertis en hôtels : autrefois, des péniches descendaient l’Oder et changeaient de chargement au port. Céréales, betteraves à sucre, légumes, etc. Une partie des denrées était ensuite transportée dans la région des anciens marécages de l’Oder (Oderbruch) grâce à un petit train, de 1911 à 1971. Puis le trafic routier a pris le dessus et le petit train ne fut plus que souvenir. Neulewin était aussi desservi par le petit train. Attendant le retour du travail de mon hôte, je découvre le village. Tout de long, il présente une structure intéressante : une large rue avec, au milieu, des petits jardins de cultures vivrières. Et plusieurs maisons avec pans de bois apparents et torchis, apparemment l’ancienne architecture régionale. Un rendez-vous avec un journaliste du Märkische Oderzeitung vient agrémenter la soirée. Et lorsque la lumière commence à baisser, je me rends chez madame Raasch. Celle-ci n’étant pas encore rentrée du travail, c’est à son mari et un de leur ami que je dois expliquer le pourquoi du comment de ma venue. D’abord un peu surpris d’une telle visite, ils m’invitent cependant à les rejoindre dans le garage et à apprécier le calme des lieux autour d’une petite bière. La conversation va bon train. Il en va de l’Oderbruch, cette région de marécages asséchés depuis plus de 200 ans sur ordre du « vieux Fritz » ou Frédéric II, le seigneur d’alors. « Le vieux Fritz a décidé de déplacer l’Oder de son lit, quelques kilomètres plus à l’est », m’explique monsieur raasch. « Il aurait dit que c’est la seule fois qu’il aurait gagné du terrain sans qu’il y ait mort d’homme. » Je comprends maintenant pourquoi les bords de l’Oder actuel sont si plats, pourquoi la qualité des sols est si bonne et peux interpréter le nom du « vieux Oder » qui passe à Neulewin. Du village, on en parle aussi. « Ici, tu as la nature et le calme, le coin est magnifique mais pour ça, tu dois aller travailler assez loin ou rester dans la région et souvent tu es sous-payé. » L’un travaille dans le bâtiment sur le chantier du nouveau métro passant sous la porte de Brandebourg à Berlin, l’autre est menuisier au village voisin. L’agriculture, les plantations de légumes qui faisaient qu’on surnommait autrefois la région « le jardin de Berlin », tout ça, c’est du passé. Les coopératives de productions agricoles made in RDA se sont bien reconverties en sociétés privées, mais les bonnes années sont passées. « Il y a aussi pas mal d’artistes qui viennent s’installer ici. Surtout de Berlin. Ils retapent les vieilles maisons et viennent chercher l’inspiration. » Doucement, on sent que la région s’ouvre aux touristes de passage. Un atelier par ci, un café par là. Juliane qui, la semaine prochaine, traduira le Veloblog du français en allemand m’en avait parlé : le café des dames de Groß Neuendorf mené par madame Rindfleisch est un incontournable. Coup de chance : la présidente de l’association vide sa boîte aux lettres au moment où je descends de mon vélo… C’est autour d’un café et d’un délicieux gâteau que j’apprends comment l’aventure a commencé. Avec la réunification, l’agriculture s’est avérée trop peu rentable dans la région et les femmes furent les premières à perdre leur emploi, notamment les « quarante ans et plus », comme me l’explique madame Rindfleisch qui elle-même travaillait alors dans l’usine de betteraves à sucre du village. « A cet âge-là, il devient difficile de partir de sa région, de recommencer à zéro. Nous avons donc réfléchi à ce que nous pouvions faire sur place et avons décidé de miser sur le tourisme. » En 1994, madame Rindfleisch est élue Maire de Groß Neuendorf. De quoi prendre encore plus au sérieux le développement de la commune. La même année, la municipalité rachète le restaurant du village, vide depuis quelques années déjà. Les rénovations sont lancées et les dons issus des inondations de 1997 viennent donner un coup de pouce : en 1998, le café ouvre ses portes. Bénévoles les premières années, six femmes sont maintenant employées par l’association. Opération réussie : des femmes au chômage se sont créé un emploi dans la région et le café gagne en notoriété. Mais madame Rindfleisch et ses acolytes ne s’arrêtent pas là. Une bibliothèque est ouverte avec notamment une petite pensée pour les jeunes qui ne peuvent pas toujours s’offrir l’accès internet ou les livres nécessaires pour l’école. « Nous faisons aussi du travail social et servons par exemple les repas à une cinquantaine de seniors habitant jusqu’à 70 kilomètres à la ronde, souvent dans des coins reculés où aucune entreprise ne les prendrait en charge. » Mais l’histoire du café des femmes de Groß Neuendorf n’illustre pas seulement la prise en charge exemplaire de leur destin par des femmes de l’ex-RDA une fois l’Allemagne réunifiée. Le café se veut également acteur de la région des marécages asséchés de l’Oder (Oderbruch). « Nous organisons des rencontres entre artistes allemands et polonais ainsi que des journées thématiques amenant à considérer la région comme une unité », m’explique la présidente de l’association multifonctionnelle. Allemands et Polonais de la région se seraient fortement intéressés au thème abordé l’année dernière, les 300 ans de voisinage avec la question du déplacement des populations. « Notre exposition de cette année, dix ans après les inondations de l’Oder, a aussi connu un vrai succès » Et déjà, la petite équipe projette pour l’automne la prochaine exposition sur un thème transfrontalier, les enfants soldats de la Seconde Guerre mondiale. Madame Rindfleisch m’avoue avec le sourire que si elle avait su combien d’énergie allait lui demander le café, elle ne se serait peut-être pas lancée dans l’aventure ! Et d’ajouter que doucement, elle recherche de nouvelles recrues un rien plus jeunes pour prendre le relais. Bien décidée à faire un bout de chemin par voie fluviale histoire d’appréhender la frontière autrement, me voici prise en charge par Andre Schneider, pêcheur et neveu de la famille Schneider tenant la poissonnerie de Finkenheerd où le Veloblog avait fait halte la semaine dernière, un peu plus au sud. Tout aussi sympathique, Andre m’explique qu’aujourd’hui, ce n’est plus possible de vivre de la pêche. Il a bien fait une formation pour apprendre le métier, mais l’avenir, il le voit plutôt autour des pistes cyclables de l’Oder-Neisse. Non loin du poste-frontière, les Schneider vendent les poissons pêchés dans l’Oder et à Kuhbrücke, quelques kilomètres plus au nord, ils tiennent une pension au bord du remblai. « Nous gagnons plus notre vie avec le tourisme qu’avec la pêche », me dit Andre en me montrant les chambres et la salle commune avec cuisine où les visiteurs peuvent se retrouver. Les Schneider proposent aussi des tours en canoë ou en bateau sur l’Oder, racontant volontiers la région aux curieux de passage. « Nous attendons l’ouverture de la frontière pour pouvoir développer nos activités vers la Pologne. » Andre prend sa matinée pour pagayer avec moi. Un petit drapeau aux couleurs de l’Allemagne est hissé sur le canoë : « C’est obligatoire », me dit-il, me précisant qu’avant la réunification de l’Allemagne, la navigation sur l’Oder n’était pas du tout autorisée. « Pour l’instant, nous pouvons naviguer sur l’Oder. Pour aller sur la Warte et s’enfoncer en Pologne, il faudrait remplir des tas de formulaires. Nous attendons l’ouverture de la frontière, l’année prochaine, pour nous lancer. » Idem pour la pêche. La réglementation change d’une rive à l’autre. Les Polonais comme les Allemands doivent posséder une autorisation de pêche du pays où ils pêchent. Et si les premiers peuvent avancer leur voiture jusqu’aux rives du fleuve, les seconds doivent se garer à au moins 500 mètres du bord et porter ensuite leur matériel eux-mêmes. De quoi expliquer le plus grand nombre de pêcheurs côté polonais que côté allemand ? Nous nous laissons dériver jusqu’à hauteur de Genschmar et le beau-frère d’Andre nous rejoint avec vélo et bagages dans la remorque. C’est vraiment chouette, je peux continuer mon chemin en vélo après ce bon moment passé en compagnie d’Andre. C’est toujours en la compagnie de Hans-Joachim, mon hôte du moment et bon connaisseur de sa région, que je découvre Kostrzyn et le centre historique de la ville, aujourd’hui côté polonais. Passé la frontière, l’habituel bazar pour les Allemands, bien trop cher au dire de Hans-Joachim qui préfère un autre marché, plus petit, un peu plus loin dans la ville. Et de me montrer l’hôtel tout près du poste frontière à la construction duquel il a participé : « les Polonais ont tout simplement repris les briques des ruines du château. Ici, on a vite fait de reconstruire ». Nous nous enfonçons dans les rues de la ville, détruite à 80% lors de la Seconde Guerre mondiale. Habitations modestes à plusieurs étages, balcons ornés de paraboles. Les vieilles bâtisses se font rares. Sur les trottoirs, poussettes et jeunes déambulent sous le soleil. Les enfants sont nombreux à jouer dans la rue. Habituée à entendre ces derniers temps que les jeunes quittent la région pour trouver du travail, je m’étonne de ce fourmillement, de tous ces enfants. Mais Hans-Joachim a réponse à tout : « L’avortement est interdit en Pologne. Les gens ici sont très catholiques et très pratiquants. » Confirmation en poussant la porte d’une Eglise où plusieurs dames prient à genoux. La prostitution, par contre, est tolérée. Les bordels ouverts 24/24 sont là pour le rappeler. Lorsque nous passons devant la gare, imposante, Hans-Joachim m’explique qu’ici aussi, le trafic ferroviaire jouait un grand rôle. « Mais aujourd’hui, ce n’est plus comme avant. Les Polonais ont encore moins d’argent que nous et avec le travail, c’est pareil : 20% sans travail. » Hans-Joachim sait de quoi il parle pour avoir vécu dix ans en Pologne. Et si cela va changer avec l’entrée de la Pologne dans l’espace Schengen et l’ouverture de la frontière… pourquoi donc, rien de sûr, mais il faut voir. C’est avec Ilona et Hans-Joachim que je découvre l’histoire pleine de rebondissements de la ville, la maison de la culture ou « Kulturhaus » de Küstrin-Kietz ayant ouvert tout spécialement ses portes pour une visite en dehors des horaires habituels - mardi (13-17h) et jeudi (8-14h). Les ruines envahies par les herbes découvertes avec Hans-Joachim en vélo, côté polonais, se laissent expliquer : le margrave Johann de Brandebourg avait établi là sa résidence au XVIème siècle, laissant entourer son château de remparts de plus de 8 mètres de haut et de casemattes. Ville de garnison des Hohenzollern (1630) puis de l’Etat (1860), ce qu’on surnomme ici « le berceau du militarisme prusse » n’a pas résisté à la Seconde Guerre mondiale, au front germano-russe. Détruite en grande partie, la vieille cité se laisse reconstruire comme avant à coups de subventions européennes. Tandis que les Polonais s’essayent à développer un site touristique autour de l’ancien centre historique aujourd’hui disparu, les Allemands semblent baisser les bras devant les démarches à effectuer pour réhabiliter les casernes des bords de l’Oder. Casernes d’artillerie allemandes, elles furent ensuite occupées par les Russes. Hans-Joachim se rappelle de cette époque, quand les Russes vivaient comme des Rois dans leur caserne et qu’au village les rayons du Konsum étaient plus vides qu’autre chose. Mais tout de même, il y avait une bonne entente avec les habitants. Tout a changé avec la réunification. Les Russes sont partis, le village a retrouvé son appellation d’origine en 91 (Küstrin-Kiez et non plus Kietz) rappelant les racines de la ville et, en 92, le pont pour chemin de fer et le pont pour piétons ont été rouverts entre Allemagne et Pologne. « Ils construisent encore un nouveau pont », me dit Hans-Joachim. « mais cela ne sert à rien, les files d’attente à la frontière ne sont plus si longues et l’année prochaine, il n’y aura même plus de frontière. » Eth de me montrer les restes du pont de bois qui relier tantôt les deux rives.Trop de ponts ici et pas assez là… C’est finalement un Hartz IV (pendant du RMI en Allemagne) rencontré dans les rues vides de Küstrin-Kietz qui m’a recueillie après que les pensions du bled ont affiché complet et qu’il m’ait prévenue que le village allait jaser. Qu’importe, me voici dans un nouveau monde, celui de Hans-Joachim qui très vite me présente ses amis du quotidien, les voisins Uwe et Ilona. Ce n’est pas l’hospitalité qui manque ici mais plutôt le manque de perspectives. Uwe et Ilona sont au chômage depuis plus de dix ans. Ils travaillaient pour la compagnie de chemin de fer de l’Allemagne de l’Est, comme beaucoup d’autres dans le coin. Mais avec la réunification, le besoin en matières premières venant de Russie est devenu moins pressant, le trafic ferroviaire s’est réduit et l’entreprise reprise par la Deutsche Bahn de l’Ouest fut restructurée. Depuis, régime Hartz IV. Le loyer est pris en charge et chacun reçoit environ 350 euros. Pas facile. Hans-Joachim est aussi Hartz IV. Maçon de métier, il ne pense plus retravailler. En Allemagne, il ne trouve plus de chantier et en Pologne, même en travaillant le week-end, il ne gagne pas assez pour finir le mois. Le temps des chantiers est donc terminé pour lui aussi. Restent les collègues, Allemands ou Polonais, pour se rappeler du bon vieux temps ! Car pour Hans-Joachim, la frontière ne semble que formalité. L’enfant du pays aujourd’hui cinquantenaire a travaillé, aimé et habité d’un côté comme de l’autre de l’Oder. La région, il la connaît comme sa poche. Et malgré tout, Hans-Joachim se contente de s’occuper de quelques poules, lapins et d’un peu de jardin pour améliorer et rythmer un quotidien bien arrosé avec les voisins. Maintenant, je comprends l’aversion pour l’alcool de personnes rencontrées plus au sud. Sous couvert d’adoucir le quotidien, il endort les esprits et engloutit les uns et les autres, faisant oublier à chacun la personne qui se cachait derrière. |